La Joie : extrait "Guerre et paix"

À quoi tiennent guerre ou paix ? Quelqu’un peut-il te faire la guerre si tu ne le veux pas ? 
Rien. 
Dans tes narines, dans tes mains, rien. 
Sur tes épaules, rien. 
Dans ton regard, rien. 
Le souffle du rien. Le rien est plein, vivant, d’une palpitante vitalité. Le rien te traverse, te vide et te remplit.

Ça me rappelle les paroles d’une chanson de Daniel Darc.

(en commentaire)

« Si tu savais mon cœur… rien 
Si tu savais mes yeux… rien 
Si tu savais mes mains… rien 
Si tu savais mes reins… rien

Si tu savais mes jambes… rien 
Si tu savais mes bras… rien 
Si tu savais mon ventre… rien 
Si tu savais mes fesses… rien 
Mais si seulement tu savais… la taille de mon âme. »

Le Rien est vivant d’une palpitante vitalité.

Maintenant que tu es dans ce tout et rien, dans ce calme habité, regarde les gestes désordonnés de celui qui est censé t’agresser. Regarde ses bras qui font des moulinets, regarde sa glotte qui monte et qui descend. 
Tu es stable, tu ne dis rien puisque tu es dans ce tout du rien. Ton teint serein ne vire ni au blafard ni au cramoisi. Ce qui se passe est à l’extérieur de toi.

Es-tu dans ton œuf ? Au-delà, es-tu dans un œuf cosmique ? Es-tu protégé par le mur magique des enfants ? As-tu allumé ton bouclier magnétique protecteur ? Ou rien de tout ça, ou autre chose ?
Ce qui se passe est extérieur à toi. Tu regardes l’être en guerre à l’intérieur d’une télévision que tu commences à ne pas regarder, ou à moins regarder. Elle est là en mousse malvenue, en salpêtre qui ronge la pierre, en serpent qui s’immisce. Un virus.
C’est ailleurs. C’est là et ailleurs. Ça a une nécessité dans un ailleurs qui ne t’appartient pas, dans une autre dimension. 
C’est là et ce n’est pas là.
Tu t’aperçois que seule ton ancienne peur lui donnait assise, densité, la peur que tu pouvais avoir dans ce monde-là, dans son jeu, avec ses règles. 
Si ce monde traversait ta membrane aujourd’hui, il ne parlerait qu’au nom d’une fonction usurpée, d’une place usurpée. Ça n’aurait aucun sens et les habitants riraient.

Tu es bien. L’ennemi extérieur ne peut te couper aucun bras, tu n’as plus de bras. Sans aucune place, ce dont tu te moques, tu es toi-même. Sans bras. Sauf pour saisir les personnes que tu aimes, les personnes qui parlent ta langue.

Sans bras. C’est bien. Ce nouveau toi-même trouve sa place sans la chercher. Tu es par ta stabilité, tu es par ton rien habité, bien dans ta peau et à l’intérieur de ta peau, même sans peau, cette absence de peau qui prend néanmoins consistance quand un être aimé te touche.
Tu es clos aux agressions et ouvert aux opportunités, aux synchronicités, à l’enrichissement.

C’est bien.

Tu pourrais sourire, face à l’agresseur enfantin, si tu avais des lèvres, mais même avec des lèvres tu éviterais de réveiller le tigre qui ne dort pas. Ne pas provoquer. Ce serait donner une consistance. Même sans lèvres, même sans provoquer, ton sourire s’élargit de l’intérieur. Tu es le sourire du Chat du Cheshire qui reste même quand il est parti.