Préface


Thierry ZALIC 1



Dans le cabinet d’un psy



Que se passe-t-il dans le cabinet d’un psy ?

Faut-il en témoigner, comme dans un reportage, ou inventer, reconstruire à l’égal d’une fiction ?

Cet écrit est un roman, donc tout est faux, comme dans la réalité. La réalité ne présente que du faux dans sa narration, ou de l’aléatoire, ou un chemin possible parmi d’autres qui prend une certaine forme à un moment donné.

Ainsi ce qui apparaît dans ce roman est aussi vrai que ce qui est faux et présenté comme une réalité.

Le patient ne présente qu’un mensonge, cette facette d’un vrai supposé qu’il s’adresse autant qu’à son psy. Le dépressif raconte une histoire, l’hystérique une autre, et la frigide une troisième. Leur véridique mensonge les construit en même temps qu’il les détruit. Et le psy, souvent, ne lui présente qu’un nouveau mensonge. Que peut-il proposer d’autre ? La théorie n’est qu’une fiction.


Longtemps, j’ai adoré les autofictions, pour reprendre le néologisme de Serge Doubrovsky : journal de Henri-Frédéric Amiel, de Julien Green, écrits de Doubrovsky lui-même, Charles Juliet, Gombrowicz, Henry Miller, Bukowski… cet engagement dans l’intime, l’expression du non proférable, de sa part d’ombre.

Ils ouvrent la possibilité de ne plus se croire unique dans ses propres « malfaçons ».

Le sale est-il aussi puissant que le beau ?

Le sale… le beau… La physique quantique apprend à sortir de ces dichotomies. Elle permet d’aller au-delà de l’inversion des valeurs telles que l’on peut trouver, par exemple, dans Le charme discret de la bourgeoisie de Bunuel, quand intime et « extime » changent de plans.

(Les personnages défèquent côte à côte en parlant et se cachent dans une petite pièce pour manger.)

« Extime » et intime sont le même état quoi prend une valeur différente selon l’observateur.

Aussi selon son état. J’ai été emballé à la première lecture de ce roman. Puis, dans une relecture postérieure, m’est venue l’impression d’ouvrir une poubelle.  

« Dans le cabinet d’un psy… »

Déjà le mot cabinet est double :

ce peut être une pièce où l’on se « refait » une beauté,

où l’on conserve des objets précieux,

ou l’endroit où l’on défèque,

même si l’excrément comme cadeau de valeur rejoint les deux selon Freud.


On peut passer d’un cabinet à l’autre, à l’intérieur du même mot, de l’excitation d’un voyeur qui regarde à travers la serrure à l’exploration du Très Bas, du désir au dégoût. Celui qui fouille est responsable de ce qu’il découvre.

La lecture est liée à un état, comme l’écoute d’une musique. Entre Caverne d’Ali-baba et poubelle, la frontière est mince. Chacun est différent d’une minute à l’autre. Le chien de cinq heures n’est pas le même que le chien de sept. Les fluctuations suivent les états d’âme, les états hormonaux, la faim présente, ou non, une tension sexuelle haute ou déjà assouvie.

Le ‘je t’aime » de l’aimé ( e ) n’a pas le même sel une fois l’étreinte passée. Rien ne vaut la montée de l’escalier, l’excitation du cadeau emballé. S’il n’y avait la fébrilité de celui qui coule son œil au trou, derrière ne pourrait être que l’ennui. Tout est dans l’histoire racontée. Tout est toujours une recherche de transcendance, par le haut ou par le bas, le cosmos ou la caverne.


 

Le pire des psys, ou le meilleur ?



Souvent, la fiction paraît outrancière. Pourtant, chaque jour témoigne d’une réalité encore plus folle.

Vrai ? Pas vrai ? Ce roman va dans le sens d’un pire, toujours probable mais jamais certain, dans le sens des frayeurs de tout patient qui recherche un psy et ne sait pas sur qui « il va tomber ». Et s’il s’ouvrait à un monstre manipulateur qui profiterait de lui ?

Profiter de quoi ? Déjà la maladie profite de lui, le « bouffe ». Tant que le patient a encore quelque chose à perdre, il ne peut pas avancer. Telle est la pensée de ce psy encore plus jusqu’au-boutiste que le psychiatre américain Frank Farrelly qui fonda théorie provocatrice au cours des années 1960.


Ce psy, qui ne veut pas se réduire à la lettre grecque,

désabusé sans que l’on sache de quoi, de lui-même ? de la psychanalyse ?

va un jour basculer du côté de l’hypnose,

d’une hypnose interdite, non respectueuse, au-delà de Farrelly.

Il crache sur Hippocrate et son serment de ne pas nuire.

Au nom de ce serment, ses confrères, croit-il, ne font rien et ne font rien avancer.


Lui soigne en une séance ou deux quand les autres ne font rien en dix.

Prétention ? Exorcisme ? Exerce-t-il sa thérapie en faisant saigner des poulets sur la tête ou le corps de ses patients ?

Ce roman est à déconseiller à tous ceux qui cherchent un soignant aseptisé. Il est à déconseiller à tout le monde. C’est une honte pour ceux qui tiennent les rênes des écoles psychanalytiques ou hypnotiques. C’est une honte pour la médecine.

Et cela existerait ? C’est un roman, répétons-le. Ça ne peut pas plus exister qu’un médecin qui vendrait de la drogue ou un homme politique qui détournerait des fonds publics. Ça n’existe pas. Ce qui se passe là est au ban de quelque chose.

Prenons cela pour un divertissement tel un film d’épouvante qui sert à conjurer ses peurs



Entrer dans un espace quantique



Pourtant, l’espace de ce roman sous forme d’autofictions croisées, l’espace de ce film, faisons comme si le contenu pouvait avoir une réalité, un sens.

Ce roman se situe dans le dur, dans la matière. Les personnages s’y cognent en espérant, ou désespérant, pouvoir franchir la paroi, quitter la neurasthénie lancinante pour la joie.

La physique quantique a ouvert les champs de la science et de la pensée. Un objet, au sens le plus large du terme, ainsi une particule est un objet, n’est plus obligatoirement solide ou fluide, dure ou impalpable.

À une époque antérieure, encore dans la tête de chacun, Huygens et Newton ont débattu sur ces particularités.

Huygens soutenait une théorie ondulatoire tandis que Newton défendait l’idée de corpuscules qui expliquaient les réflexions optiques.


Longtemps, la physique a dissocié les corpuscules et les ondes, le lourd et le léger,

le dicible et l’indicible :

les corpuscules semblables à des objets, des billes, des plombs tirés par une carabine,

s’opposaient aux ondes sans objet, porteuses d’énergie et de fréquence.

Si les corpuscules représentaient un mouvement dela matière,

les ondes étaient un mouvement dans la matière.


La lumière est-elle palpable ou non, et comment ?

Une première expérience, dite « des fentes de Young » orientera la physique pour le choix d’une lumière « ondulatoire » et non « corpusculaire » jusqu’au jour où Einstein proposera à son tour une structure discontinue dans la lumière, sous la forme de grains d’énergie.

Les physiciens reprennent l’expérience, cinquante ans plus tard, avec un matériel bien plus affiné. Ils arrivent désormais à ralentir les particules de lumière nommées photons.

Le résultat devient plus complexe. La lumière agit d’abord sous forme d’interférences, fluide, puis si l’on réduit suffisamment l’intensité de la source pour qu’elle émette des photons un par un, l’impact prend apparence de corpuscule. Si l’on attend encore, l’accumulation des impacts commence à reproduire des interférences d’ondes.

La dualité onde-particule apparaît. Un corps peut être les deux à la fois comme le physicien Schrödinger expliquera qu’un chat peut être vivant et mort.

Il a été difficile d’y croire dans un premier temps, comme les ornithologistes doutèrent de la réalité de l’ornithorynque, ce bec de canard au bout d’un corps de quadrupède. Certains pensaient que cet être inclassable était un mammifère du fait de toutes petites mamelles, d’autres un ovipare car il pondait des œufs. Au final, après quatre-vingts années de débat, il fallut conclure que l’ornithorynque appartient à une nouvelle catégorie d’êtres vivants, les monotrèmes, à la fois mammifères comme les vaches, et ovipares comme les reptiles. L’ornithorynque n’était paradoxal qu’au regard des anciennes catégories et des anciennes façons de penser. 

Revenons à la lumière qui peut être à la fois onde et particule, ce qui introduira à la notion d’un « rien habité ».

S’il est désormais observé qu’une particule peut passer par deux fentes à la fois et interférer avec elle-même, les expériences ultérieures vont témoigner de phénomènes encore plus étranges Si l’on cherche à détecter par quelle fente le photon est réellement passé, que l’on détecte qu’il passe par la droite, ou la gauche, la figure d’interférence disparaît aussitôt.

Dès qu’il y a mesure, observation, le photon n’est plus dans son état juxtaposé. C’est l’effondrement de la fonction d’onde. On ne peut observer l’interférence qu’à condition de ne pas savoir par quel trou l’électron est passé.


Niels Bohr, un des pères fondateurs de cette nouvelle physique, suggère que les objets quantiques ne possèdent aucun attribut propre, qu’ils constituent des entités inséparables de leurs conditions d’observation. Et s’il n’y avait pas d’observateur, il n’y aurait peut-être rien.



Au-delà du bien ou du mal



Cette digression introduite à une hypnose qui devient quantique. Elle est l’objet double des deux protagonistes de ce roman, le psy et le patient (ensemble des patients) qui cherchent à passer la barrière du dur pour accéder au fluide, sans même conscience qu’ils pourraient être les deux en même temps.


On peut même se demander s’il y a deux personnages,

s’ils ne sont pas qu’un qui prend des formes différentes.

Si l’hypnose est déjà incluse dans cette phrase de Christian Bobin,

l’enfant partit avec l’Ange et le chien suivit derrière,

l’hypnose quantique superpose l’Ange, l’enfant et le chien.


Il s’agit, le temps d’un souffle, d’une respiration plus lente, de suspendre le jugement, de suspendre les notions de moi et de non-moi, de laisser une histoire se redessiner dans le corps et l’âme avec d’autres chemins, d’autres conséquences toujours en mouvement et jamais « finies ».

Il s’agit de laisser le champ possible à une guérison en sortant des sentiers battus, ou fermés. De sortir de tout principe, de tout jugement.

Le monde l’interdit. Ce serait l’anarchie. Mais le roman n’est pas le monde, ou oui. Le roman est toujours transgressif, en l’étant ou en ne l’étant pas. Dans la transgression elle-même, ou en redoublant une plate réalité rêvée qui n’existe pas.

Bergman et Luckmann, deux grands spécialistes de la sociologie phénoménologique, ont expliqué que le sens de l’univers dans lequel nous vivons était maintenu par la conversation.


« Lorsque je dis à une connaissance : - Belle journée, n’est-ce pas ? je ne transmets pas une information météorologique, elle le sait aussi bien que moi, mais je réalise plusieurs buts non formulés : je reconnais son existence, j’exprime mon désir d’être amical, je réaffirme l’une des règles de base de l’interaction dans notre culture (parler de température est une manière commode et sans danger d’établir un contact) et, enfin, je valorise un trait partagé par tous en disant que la journée est belle. Sa réponse « oui c’est bien » contribuera à mettre l’ordre dans mon esprit. »

Au-delà de ces phénomènes sociologiques, et c’est là qu’est l’intérêt, Berger et Luckmann affirment que sans la reformulation constante de l’évidence, comme la médecine traditionnelle, les gens se mettraient à douter de la réalité du monde dans laquelle ils vivent. 

 

Ce roman est exactement celui qui ne commence pas par « - Belle journée, n’est-ce pas ? ».



1 Thierry ZALIC est l’auteur de :


Hypnose quantique : Le choix d’être bien, ou pas.

Inclusion de la physique quantique et du bouddhisme

dans le champ de l’hypnose.


 TZP

éditions