Les anges quantiques

 

Un peu plus que la Voie du Milieu / la double causalité / le sourire du chat du Cheshire qui reste après que celui-ci se soit effacé / le miroir dual / l’effondrement des valeurs / ceux qui « y sont passés » / l’esprit non localisé

 

Jusqu’où amener  patient et lecteur, qui ne font qu’un, pour qu’ils outrepassent la raison sans pour autant décrocher ? Comment les amener à un plus extrême sans pour autant les perdre ? Comment induire qu’un nouveau vertige, passager, apportera une nouvelle assise ?

Par un accroissement du désir ? De la curiosité ? Par un ego plus sûr et en dehors de soi ?


Le Bouddha invite à en faire un peu plus, mais pas trop.

« Une corde trop tendue finit par casser, une corde trop lâche ne produit aucun son » 

indique la Voie du Milieu.

Le truand, voué au culte de la matière, dort souvent en prison, et l’illuminé,

coupé des réalités quotidiennes, peut finir ses jours en asile d’aliénés.1


Cette Voie du milieu diffère pour le débutant et l’expérimenté. À ce stade du récit, la Voie du Milieu a progressé vers de sommets qui ne sont que la base d’une nouvelle étape. Les encouragements du thérapeute par des « encore », des « un peu plus », oscille entre « pousses au crime » et « pousses à la délivrance ». Le thérapeute est un serpent, un tentateur. Il rend le vertige désirable comme l’amant invite sa belle à rompre les amarres.

Celui qui se laisse prendre, qui tend son cou du côté quantique, place sa tête dans une guillotine. D’abord le doute, l’incertitude… puis, après que la tête ait chuté sur le billot tout en restant accroché au cou, les yeux, dégagé de leur corps, perçoivent l’intense clarté du processus d’illumination.

Pour cela, il faut avoir cédé. Cela se fait volontairement, ou par accident.

 

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« Le choix d’être bien » est la partie volontaire du travail de logique confusionnante, entrer dans l’irraisonnable par la raison. Le lâcher-prise de l’hypnose, qui l’accompagne en second, est le beurre qui huile le moule afin que pénètrent mieux les conditions du désordre et de la réparation.

Cette réflexion sur l’attitude « volontaire », qui va se poursuivre un instant, se situe dans le champ du « dur », du « marteau et de l’enclume sur laquelle le fer battu est soudé » de Carl Gustav Jung.

Laplace et Maxwell parlent de « démons » capables de remonter le temps pour connaître toutes les conditions initiales d’un système et prédire ainsi son état futur.

Et si les « démons » étaient là de tout temps, du début à la fin. « Une matière qui fonctionne de façon sensée a besoin d’une coordination qui n’est ni matérielle ni sensible au temps » avance Antoine Suarez.


À un niveau quantique, des choses se passent, mais le temps, lui, ne passe pas,

ce que l’on retrouve quand l’émotion est intacte à la réminiscence d’un souvenir,

telle la madeleine de Proust.1


Avec Nicolas Gisin, Suarez a repris l’expérience d’Aspect sur les photons séparés, cette fois en manipulant leurs détecteurs afin que chacun pense être le premier à percevoir l’interférence. Les chercheurs constatent alors que si le phénomène se passe, il n’est pas ordonné dans le temps. Que « des choses se passent, mais que le temps, lui, ne passe pas » rejoint la théorie d’un temps inexistant de Carlo Rovelli.

À un moment, la main allait à l’objet, la pomme était déposée sur la table par une main, mais peut-être la pomme était-elle là et a inventé la main comme la posture du physicien influe, voire crée le résultat.

Il y a bien dépendance entre les deux événements qui se produisent dans des régions de l’espace distantes l’une de l’autre, mais sans ordre temporel et donc sans relation de cause à effet.

Suarez note ainsi que soit le libre arbitre est une illusion, soit le phénomène quantique implique un traitement d’information en dehors de l’espace-temps et sans support matériel. Les deux peuvent aussi être liés si l’on suppose, comme le physicien Étienne Klein, que le futur est bien là mais qu’il lui manque encore des informations laissant ainsi la place pour notre libre arbitre.

L’avenir est une authentique réalité qui n’est pas complètement configurée, laissant la place au jeu, aux espaces de volonté, au désir, à l’invention.

Suarez nomme « anges quantiques » les « intellects » qui existent dans la nature sans support matériel, brassant une masse d’informations dont sort un hasard quantique.

L’espace entre posture et imposture est celui de l’être et de son reflet qui pourrait être l’original, un espace de co-création entre physique et métaphysique, la seconde pouvant être première ; le vertige continue à s’étendre.

Comme il ne reste que le sourire du Chat du Cheshire quand celui-ci s’est effacé, il n’y a plus de soi pour se tromper, plus les mains et le regard du prestidigitateur, plus la langue du thérapeute, plus les images trompeuses du docteur Ramachandran, plus même de postures… seulement un silence habité qui s’organise, avant de s’échapper dès que quelqu’un essaie de le saisir, comme l’onde/particule n’est dans cet état que sans observateur.

Sans notion de temps, le Tao est concomitant aux découvertes quantiques. A la définition « le Tao qui se dit n’est pas le Tao qui est » Nicolas Gisin ajoute : « le visible émerge de l’invisible, la matière de la conscience, et le temps est tissé d’éternité. »

 

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L’homme, qui se sait penser, se regarde dans un miroir et croit voir son reflet. Et si la réalité était de l’autre côté et qu’il ne soit que le reflet, comme Alice est dans le rêve du Roi qu’elle rêve ?

Vadim Zealand3 propose une allégorie quantique du miroir-dual qui rejoint la caverne de Platon où les hommes, prisonniers, ne perçoivent que l’ombre de la réalité extérieure sur les parois.

Le monde naturel, dont l’homme fait partie, pourrait n’être que le reflet, ou l’incarnation, d’une image originelle découlant d’intentions ou de pensées. À un niveau encore supérieur, d’une unique Pensée. La Pensée serait la matrice de l’espace infini des variantes, appelée potentialités chez Chopra, ou chez David Bohm le « tout illimité » dans lequel se retrouve son « ordre implicite ».

À partir de cette Pensée, chaque variante possible contient un scénario et un décor, le trajet et la forme du mouvement de la matière.

Ce qui s’est matérialisé se trouve du côté du réel et se développe selon des lois naturelles. De ce côté, l’homme bute sur l’écran du miroir dont l’amalgame, cette couche de tain qui lui donne particularité, donne une saveur particulière à son reflet.

Les Vénitiens ajoutaient de l’or dans le tain de leur miroir pour que prédominent les tons chauds du spectre de la réflexion.

Et vous, et toi, chacun… qu’ajoutes-tu ?

Le miroir ne renvoie que ce qui est projeté et le monde n’est que le reflet de son attitude. Si vous haïssez le monde, il vous renverra des images de haine qui renforcent votre dépit ; si vous l’aimez, des messages d’amour qui augmentent votre désir de donner.

Parodiant le contre-chant d’Aragon, « chacun est ce malheureux comparable aux miroirs, qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir, comme eux son œil est vide et comme eux habité de l’absence d’eux-mêmes qui fait leur cécité. »

La personne dirige toute son attention vers le reflet, sans penser à se regarder de l’intérieur. Elle se retrouve sous l’emprise du miroir, figée sur sa copie qui lui donne raison, comme ensorcelé.

Il ne lui vient pas à l’esprit qu’il faudrait transformer l’original pour déployer un autre reflet.

Dans sa haine du monde, ou son dépit, ou son manque de confiance, l’avatar traîne tout le temps avec lui ce qu’il n’accepte pas, devant un miroir qui ne sait que lui donner raison, qui réfléchit sans savoir voir.

Quand il déteste quelque chose, il y met l’unité de son âme et de son esprit d’une façon entière, et le miroir renvoie son dépit de la même façon entière.

L’avatar, met une énergie autrement moins grande quand il s’agit de guérir. Il est déjà si fatigué de se faire du mal. Il ânonne des « je n’y arriverais pas » et le miroir lui renvoie qu’il n’y arrivera pas. Le miroir ne réfléchit pas à l’intérieur de lui.

Changer l’attitude à l’intérieur de soi pour modifier le reflet et le tain même du miroir.

L’avatar est un corpuscule, résultant d’une variante, qui se débat avec son image telle un photon qui cherche à changer d’orbite en s’y prenant à l’envers. Il s’agite, quand il s’agirait de ne plus s’agiter. Il se confronte, quand il s’agirait de s’oublier.

De l’autre côté de la Structure, réside le Tout contre lequel la partie ne saurait jouer.



Tous les physiciens, astrophysiciens, médecins, ou biologistes quantiques,

enfants ou petits-enfants de Feynman et de Bohr,

sont unanimes sur l’Idée qui préexisterait à la forme.

Le nom de cette Idée peut varier, Principe directeur,

Pure intention, Élan de perfection ou de Création,

Conscience pure…


Dans tous les cas ce Tout, cette Pensée, ce Contenant originel, cette Toute Potentialité, cet Éveil, cette Matrice, cette Pure Intention est un état qui ne peut pas se dire sans se dévoyer. C’est l’état où l’expérimenteur, l’expérimenté et l’acte d’expérimenter ne sont pas encore différenciés. C’est l’état qui contient tous les plans d’action sans en être aucun.

Ce Rien structurant, qui n’est même pas énergie, préexiste au corps qui n’est plus la limite de l’être, pas plus que l’être n’est limité à son être.

Mémoire, temps ou espace n’existent pas de façon différenciée ou hiérarchique, ce que l’on retrouve déjà chez Einstein, Roselli, Gisin et Suarez ; ils circulent et façonnent des objets, ou non, en des temps ou lieux donnés en fonction de variantes et de choix successif, un peu comme l’ADN, identique en chaque partie du corps, se différencie en tous points selon si la cellule se situe dans la rate, le cœur, le poignet, l’orteil, un cil… s’éparpillant en des formes et des fonctions qui différent.

Cette Pensée / non Pensée intervient autant au niveau des particules, des molécules, que des grands corps constitués comme animaux, humains, végétaux, minéraux… qui ne sont tous que des objets. La distinction n’existe plus entre ce qui pense et ce qui ne penserait pas, ce qui serait vivant ou serait mort, entre le sens et le son.

D’un côté ça pense, ça s’organise, ça se structure, et donc « ça couine », de l’autre, ça découle, dans une fausse immobilité ; ça génère.


D’un côté il y a le langage, et de l’autre, le lieu où il se dispose.

Le langage est le choix réalisé d’être onde ou particule,

une querelle pour la maîtrise de sens, de savoir ou de pouvoir,

qui rebondit indéfiniment de l’intérieur,

presque de la paroi intérieure du discours,

dans un moi-peau captif et captif encore de son image.


Le langage est une attitude, une disposition, une forme. Changer d’abord la façon dont on se parle, puis la façon dont on s’entend. Puis déparler, pour franchir la membrane, ce à quoi aide l’hypnose.

Cette préexistence de la Conscience sur la forme, cette Idée, ou Pensée (pré) organisatrice, si proche de l’image de Dieu hormis qu’il n’y a pas de franche intentionnalité, bouscule toute une vie qui serait basée sur l’athéisme et la libre-pensée.Les deux principes de Théodore Monod, « le hasard et la nécessité », s’effondrent au profit de cette Pensée qui contient tout, sans déterminisme, unie à un choix proposé en chaque instant.

Cet effondrement des valeurs rappelle l’aventure advenue à un étudiant vénézuélien qui finissait une thèse après six ans de recherche. La veille de la soutenance, lors d’une soirée, il rencontra un contradicteur qui lui fit valoir des perspectives différentes qui lui parurent si évidentes, que la raison même de sa thèse se démantelait.

Il ne se rendit à la soutenance que pour s’excuser de ne plus pouvoir la faire, et entreprit un nouveau travail.

Le monde quantique révèle ce Tout, contenu dans le rien dont tout découle en fonction de choix ou de regard. Comme dans le regard dans le décolleté dont la reconnaissance réduit la fonction d’onde, le jeu permet la subversion en la laissant s’exercer dans l’ignorance d’elle-même. Le jeu n’est qu’une subversion constante et, n’en déplaise à Einstein, cette forme de Dieu joue constamment aux dés sans jamais créer de hasard. Le résultat est toujours à la fois incertain et certain.

Chez les juifs, le nom de Dieu ne peut se dire et se parler, comme si la prononciation même altérait sa « toute structure » telle une onde/particule observée. Cette réalité ultime, possible construction imaginaire, jour constamment à cache-cache. Elle se situe dans l’impossible jour, dans l’impossible présent même si tout n’est que présent pourtant fuyant et mouvant dès qu’on le touche.

Ce Tout, cette Conscience, trompe son monde comme la Reine trompe Alice dans De l’autre côté du miroir. « Tu auras quatre sous par semaine, et confiture tous les deux jours, confiture hier et confiture demain, mais jamais confiture aujourd’hui. » 4

Dans ce tempo, aucun jour n’est jour de sens, mais il y a du sens de part et d’autre d’un temps précis, comme un temps de lecture, du sens promis et inaccessible.