Tourner autour du pot

 Erickson 1960

 

Continuons à glisser d’une approximation à l’autre. » Dans quel état j’erre » créait le décalage, la déstructuration d’état, le passage du sens à l’insensé, la faille, ce pas qui franchit l’espace du sain au malade, du réel à l’étrange.

Et voilà que dans cette même glissade qui mène à un état profond, décalé et profond, la peau du « moi-peau » se transforme en « pot » et le son change de figure.

« Où me mènes-tu ? » te demandes-tu, lecteur. Te vient l’idée que je n’aborde pas le sujet promis bien que je t’y enveloppe du dedans, que je tourne autour du pot.

Passer du moi-peau à un autre pot. Le hasard des sons pour les uns, le chaos organisé pour d’autres, toujours une forme d’avancée quantique.

Penchons-nous un instant sur cette expression « tourner autour du pot ».

Dans la physique classique, « tourner autour du pot » se mesure,

se quantifie par une vitesse et une direction, dans le réel comme au sens figuré de l’expression.

Dans l’approche quantique,

« tourner autour du pot » prend une autre dimension. « On » tourne autour et « on » est dedans,

ce qui se passe exactement dans la réalité réelle,

au sens figuré de la physique classique.


« Tourner autour du pot » est comme parler pour ne rien dire, ou demander à quelqu’un d’oublier un objet ou une situation. C’est impossible. Sauf dans une position quantique.

Les paramètres de cette physique empêchent de définir à la fois la vitesse et la direction d’un électron, d’un proton… D’une certaine façon, cette impossibilité permet à des mondes différents de se superposer et, ou, s’unir.

« Tourner autour du pot » signifie parfois « ne pas oser », et parfois « retarder ».

Cette dernière acception vire à la métaphore érotique et nous plonge dans l’esprit de Sacha Guitry : « Le meilleur moment de l’amour est celui où on monte l’escalier. »

Les neurobiologistes, scanners et IRM du cerveau en mains, vont observer que penser l’acte et le faire sont identiques

Les physiciens, montant une marche supplémentaire vont percevoir le palier quantique où vont s’unir « faire » et « non-faire »,  ce lieu où ce qui tourne autour du pot est déjà dedans, ce moment où pot et peau s’unissent comme deux parties disjointes se rejoignent.

Tout être qui est, où a été dans cet instant, y participe, et cette fusion, réelle et/où potentielle engendre d’autres potentialités.

 

------------

 

« Tourner autour du pot » est aussi trafiquer.

 

Milton Erickson, au début des années 1960, faisait le tour d’une salle, une main levée, demandant à haute voix qui il allait choisir.* Il faisait semblant d’avoir à commencer un travail déjà en cours.

Je retrouve dans mes séances, ce faux-semblant de partir d’un point donné alors que le départ est déjà lancé, parfois depuis une semaine ou deux, depuis la prise de rendez-vous. Le coup de feu du starter a déjà été lancé, les premières marches sont déjà montées.

Ce pseudo vrai départ, se retrouve dans des rapports amoureux où une partie de la « messe » (ou fesse) est dite avant même le premier mot.

Ainsi Erickson, faisant semblant de ne pas avoir choisi, avait repéré les pupilles dilatées dans l’assistance, les expressions déjà figées de certains visages et les petits signes d’assentiment à chacune de ses paroles. Il invitait sur l’estrade une personne déjà en transe.

Le début ne peut-être que quand la perte est prononcée.

Quelle perte ?

Je t’en laisse juge.

 

*In « L’hypnose thérapeutique, quatre conférences », Milton H. Erickson, ESF, 1986.

 

 

Entrer dans le vertige

 La confusion éricksonienne.

 

Elle est là. Tu vois, toi lecteur, cette personne qui vient. Qui est là.

Imagine-là en termes d’énergie, ou de fréquence, ou de photons tournoyants à l’intérieur d’une sphère, ou d’atomes autour d’un noyau.

Souvent il ou elle n’est pas totalement installé(e), une demi-fesse seulement posée sur le fauteuil, en suspension. Quand le dos ose enfin enfoncé, il teste s’il y a confort ou inconfort. Les premiers mots, parlant faussement du dos, signeront son état.

La personne, là, est en état de confusion et d’instabilité, d’attente.

Elle a peur. C’est super ! Sans cette peur, sans cette vulnérabilité, sans cette puissance désorganisée ou son revers de faiblesse qui a la tête dure, il serait plus difficile d’introduire un levier.

Je parlais, il y a un instant, du fil du rasoir qui passe sur le « moi-peau », d’un côté, puis de l’autre, pour en éradiquer le poil.

Le travail du praticien, dès qu’il pose la lame, est double. Diminuer la perdition et l’augmenter différemment.

Bien avant cette précision technique, le plus important se situe dans la relation. Dans une double relation. De cette personne à soi, et de cette personne à elle-même.

 

En 2002, en préambule d’un congrès sur le thème du bouddhisme et de la médecine,

un professeur,

doyen de la faculté de Montpellier,

racontait qu’il demandait un jour à ses élèves

quelles étaient leurs observations quant à sa consultation.

Les étudiants commencèrent à rivaliser de détails techniques.

Il les interrompit. « Non, vous n’avez pas vu le plus important :

le plus important, c’est quand je suis rentré dans la chambre,

que j’ai appelé le patient par son nom et que je lui ai demandé comment il allait,

puis comment je l’ai salué en partant de sa chambre ».

 

Voilà. Avant tout poser le patient, comme il s’agit de poser l’enfant dans  un des deux principaux préceptes de l’éducation.*

Poser le patient, avant de créer une agitation différente de la sienne, une contre-agitation comme l’on parle de contrepoison.

La succession de propositions logiques, qui deviennent illogiques, apparemment hors de propos, que j’assène en début de séance (partie II de cet ouvrage), se condensent dans une même phrase dans les exemples de Milton Erickson.

« Un gaucher avait perdu sa main gauche dans un accident et ainsi, n’ayant plus que sa main droite, il lui restait sa main gauche. »

De même « ce qui est maintenant est, sera bientôt l’était du futur, tout comme il sera l’était de demain ».

La phrase, censée expliquer, « désexplique ». La phrase censée devient insensée. Alice traverse le miroir. Le but est de décrocher, d’écarter le patient de son problème, donc de sa raison : s’il était planète, il s’agirait de le faire changer d’orbite.

« Cette main droite qui n’est que sa main gauche… » François Roustang emploie le beau terme de « déparler ». « La parole du thérapeute qui induit la transe est essentiellement une « déparole » qui vise à faire perdre aux mots toute signification. La parole est ici utilisée à l’envers, pour introduire à l’expérience qui est non pas une recherche de sens, mais une entrée de la personne toute entière dans le sens de la vie. »* Un autre sens.

Celui qui vient est accroché à des faux repères stables à tel point qu’il ne peut pas trouver de solutions sans que tout s’écroule. Il est au plus mal et a encore peur que ce soit pire. Il veut lâcher, mais pour lui lâcher est mourir puisqu’il ne voit aucun autre espace-temps, aucune autre logique que celle qui mène à sa perte.

Déparler la grammaire close. Réinventer. Entrer dans le vertige, le créer pour changer la sidération première du mal-être ou de la douleur. Dénouer les mots noués mal à propos, mal tricotés.

En 1923, Milton Erickson, s’apprêtait à donner une conférence à l’Université du Wisconsin. « En chemin, un homme tourna brutalement le coin d’un immeuble et le heurta violemment alors qu’il se tenait arc-bouté contre le vent. Avant qu’il ait pu reprendre contenance et lui parler, Erickson examina minutieusement sa montre et lui déclara avec courtoisie, comme s’il lui avait demandé l’heure : « Il est exactement deux heures dix », alors qu’on approchait de seize heures, et il poursuivit son chemin. Il parcourut un demi-pâté de maison, puis se retourna pour constater que cette personne, médusée, perplexe et décontenancée par la remarque, continuait à le regarder. »

Comme dans une consultation, entrer dans le vertige et non dans la stabilité. Dans cet exemple, la personne se trouvait dans une double confusion : inappropriation de la réponse, regarder l’heure et la donner alors qu’il ne s’agit pas de ça, redoublé d’une heure qui n’était pas la bonne.

Dans cet espace-temps suspendu et déplacé, le travail du thérapeute sera, non pas de réorganiser, mais d’inventer d’autres espaces où le pas sera stable même si l’espace est loufoque, un autre langage, une autre grammaire, introduire à une autre physique.

C’est ce que l’on appelle, en terme scientifique, « entrer dans un espace non linéaire ». Les systèmes non linéaires ne sont pas solubles entre eux et ne peuvent pas s’additionner. « La non-linéarité signifie que le fait de jouer modifie les règles du jeu. Analyser le comportement d’une équation non linéaire équivaut à se déplacer dans un labyrinthe dont la disposition des murs changerait à chaque fois que l’on fait un pas. Toutes les caractéristiques essentielles de l’équation changent simultanément : celle-ci change à la fois d’ordre et de degré. »***

 

 

* Voir chapitre ……

**In, Il suffit d’un geste, de François Roustang, Odile Jacob poches page 23

** Voir chapitre : ……….

*** In Intégrale des articles de Milton Erickson, Tome 1, Satas, La technique de confusion, pages 324, 325.

**** In « La théorie du chaos », James Gleick, Champs-sciences, pages 45, 46.